Vous ai-je déjà parlé de Sost ?
Situé à plus de trois kilomètres de Mauléon et à environ sept cent quarante-deux mètres d’altitude, Sost est le dernier village de la vallée, avec pour seule vision, la montagne à perte de vue. Je vous rappelle, que ce petit bout de terre, dont la réputation de son fromage n’est plus à faire, fut tout autant estimé pour la beauté de son marbre qui, à son époque, a su inspirer des artistes, comme Jean-Baptiste Pigalle avec la réalisation du buste de Madame de Pompadour, exposé au Métropolitan muséum art de New York et le tombeau de Markos Botsaris, sculpté par David d’Angers, que l’on peut admirer au musée national d’Athènes. (Et oui ! ) Je ne vais pas m’étaler sur son patrimoine culturel, mais plutôt sur la poésie que je ressentais en parcourant ses chemins.
Subitement, des odeurs de regain chatouillent mes narines et dans mes yeux se reflètent les anciennes meules de foin qui trônaient dans les prés, à la belle saison. Entendez-vous le tintement des cloches des vaches qui traversent les ruelles en se dandinant ? Ici, tout est propice à l’école buissonnière et ce n’est pas Célestin Freinet qui nous dirait le contraire ! Avec mon cousin Philippe, quel bonheur que de courir à travers champs, sauter dans l’Ourse à pieds joints, chercher des chatons dans les vieilles granges, ramasser des salades dans le jardin et mordiller avec désinvolture des herbes folles, en espérant que la vie ait toujours ce même goût de liberté ! Nous n’avions rien à envier à Robert Sabatier et à ses Noisettes sauvages !
Du haut du village, ma tante nous appelle. Il est temps de rentrer déjeuner et nous nous hâtons pour ne pas nous faire disputer. Sur notre trajet, nous croisons des anciens avec leurs bérets enfoncés sur la tête et leurs sabots qui jouent des castagnettes sur la chaussée poussiéreuse. Nous les saluons poliment et les écoutons nous répondre dans un dialecte appelé communément patois. Hubert s’est glissé dans le lot, que cache-t-il dans sa musette ? Des cèpes ou un lièvre pris dans ses collets ? À moins que ce ne soit un blaireau ! Des rideaux bougent aux fenêtres, certains sortent sur le pas de leur porte, mais quand ils nous reconnaissent, ils retournent sans un mot à leurs occupations. Gaston nous regarde défiler sous sa fenêtre et tente une approche pour essuyer son ennui. Mais nous sommes déjà à la salle de bain, les mains pleines de savon, avant de passer à table.
Il n’y a pas si longtemps, en flânant devant le café aux portes closes, mon regard s’est porté sur ses lettres en fer forgé, l’Arche de Zoé. Il y en avait de sacrés animaux autour de son comptoir ! Si certains entraient désespérés, ils en ressortaient avec une joie de vivre retrouvée. C’était miraculeux, et pour célébrer l’évènement, ils chantaient à tue-tête jusque chez eux. Aujourd’hui encore, le refrain d’Augustin l’instituteur laisse entrevoir mon sourire sur mes lèvres, « Sabrina, jolie fleur de Java ! » Je l’imaginais alors, portant une chemise indonésienne et une couronne de fleurs exotiques autour du cou. Je n’ai jamais bien compris cette subite marque de sympathie. Probablement avait-il oublié les larmes sur mes joues et la terreur qu’il m’a longtemps inspirée, après avoir crevé mes tympans de ses éclats de voix et de ses sévères réprimandes ? Cela s’entend, je ne garderai que le meilleur, comme le souvenir de son cadeau de Noël, Les quatre filles du Docteur March, dont Joséphine a certainement contribué à mon envie d’écrire…
En plein mois d’août avaient lieu les réjouissances de la fête locale et nombreux affluaient pour l’authenticité de l’évènement. Les manèges n’osaient pas arpenter la route jusque-là, mais l’orchestre lui était bien présent. Pour l’occasion, ma tante sortait les rallonges et dressait la grande table qui recevrait ses invités. Nous savions que nous allions bien manger, bien rire et qu’ensuite, nous irions virevolter sur la place de la mairie. Tiens, j’aperçois la tête d’Alain, ou peut-être est-ce celle d’Yvonne ?
Lorsque la nuit était bien avancée et qu’il ne restait plus que quelques noctambules, nous remontions tranquillement pour aller nous coucher, tandis que mon cousin Jean-Paul s’amusait à souffler dans ses mains en imitant le hululement de la chouette. Quelle incroyable surprise, que de le voir alors accompagné d’un hibou volant à ses côtés !
Oh, que de souvenirs, il y en aurait tant à raconter…les cheveux longs de Véronique, les yeux de biche de Corinne, les copains et les cousins des cousins ! Didier, Gérald, Serge, Denis, Louis, Mathias, Robert…ceux-ci mêmes furent les premiers à posséder des mobylettes, puis des voitures et lorsqu’ils traversaient Mauléon, il y en avait toujours un pour nous conduire au bal. Je n’ai jamais eu peur de monter avec l’un d’entre deux et il ne m’est jamais rien arrivé de fâcheux. Pour eux, l’amitié, c’était sacré !
Je remercie Jean-Paul pour sa photo, prise depuis la terrasse de ma tante.
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